Texte de Thérèse Gillet publié à l’occasion de l’exposition Maryan par la Galerie Fanny Guillon-Lafaille, Paris, 1988.
En réponse à votre demande, chère Fanny Lafaille, ne soyez pas étonnée, si dans cette lettre j’essaie de vous expliquer pourquoi je me sens incapable d’écrire un texte sur Maryan.
La seule personne qu’il ait acceptée comme critique de sa peinture et conteur de sa vie, c’est lui, c’est Maryan, quand après des années de silence, il a pu enfin parler, évoquer son histoire dans cette maison pleine d’enfants fascinés par ce personnage qui, son buste et ses bras puissants sur le balcon de la loggia, leur évoquait avec des mots crus, avec son humour juif, cette danse macabre qu’il avait dansée gamin et d’où il était sorti avec sur son visage de pâtre grec, un petit trou au coin de l’œil, sur sa nuque le griffe de la mort et le long de son dos ces marques crochetées par les dernières mitrailles qui n’avaient pas voulu de lui.
Marqué juif à jamais par un tramway broyeur de Tel-Aviv ou d’ailleurs, cet homme étoile se levait, triangle de la tête aux extrémités de ses béquilles, triangle inversé de la jambe restante au bout de ses larges épaules.
Il s’enfermait alors dans sa chambre atelier avec un tout jeune peintre. Là, tout en croquant allègrement des petits gâteaux à la confiture étrange, il lui dictait son dernier catalogue.
Là, il disait sa vérité à lui, sa vraie vérité.
Là, sensibilité suprême, il a choisi sa photo, couché, écroulé sur un amas de toiles. Maryan mort à cinquante ans, six après.
Maryan mort à cent cinquante ans après avoir vécu trois vies : l’Horreur, la Mémoire, la Douleur.
Maryan enterré deux fois, sa cendre fine dans cette boîte si petite apportée par Annette à Montparnasse, enfouie devant les peintres affligés.
Enfouie sa Peinture, enfermée, emprisonnée sa Peinture‑Vérité.
Cette peinture, cet homme qu’ils retrouvent parfois pour les perdre à nouveau. Revenir, repartir, l’horreur, la mémoire, la douleur, Ils en ont besoin eux aussi.
Maryan miroir au souvenir.
« Je regarde manger la Princesse… »
Petite princesse de dix-huit mois, sa grande serviette blanche nouée, mangeait sa purée qu’il lui donnait…
Maryan au cou de l’âne courait derrière les oies.
Maryan accroché aux anneaux, dérisoire croix de fer devant les gosses épatés…
Maryan pris par le sommeil, tout le malheur sur son visage fermé, renversé.
Maryan dans le soleil, planté comme un arbre avec ses tuteurs, la tête de côté…
« Quel malheur, Thérèse, quel malheur de quitter tout ça… »
« Tu reviendras Maryan – tu reviendras… »
Texte de Thérèse Gillet à propos de Maryan 1988