On ne vous demande pas…
On ne vous demande pas si vous l’aimez, ou si vous l’admettez cette peinture. Vous avez simplement à constater un fait : que la peinture est entrée dans un stade
« abstrait », « informel », « non figuratif », choisissez l’appellation. Et c’est une rude chance, car depuis qu’Uccello lui a donné les moyens d’illusion visuelle et depuis que la peinture à l’huile nous en a flanqué plein la vue avec ses orchestrations, il faut bien admettre qu’elle aurait filé un mauvais coton, à partir d’Ingres et Delacroix, si Manet et la photo ne nous avaient sauvés.
Mais approuver Manet c’est, aujourd’hui, souscrire à l’informel.
Ce n’est pas dehors mais à l’intérieur d’un mouvement que vous trouverez vos hommes. Nier l’informel c’est nier l’impressionnisme, le fauvisme, le cubisme… C’est nier à son heure l’atmosphère, la perspective, la belle pâte, toutes choses qui, aujourd’hui, vous ravissent. Chercher en dehors c’est miser sur Meissonier, Caillebotte, Bonnat ou Favory.
Qu’un prix donné par l’Université de Paris approuve sur l’heure ceux qui sont à l’extrême pointe de la recherche, et ce, pour des peintres qui doivent avoir moins de trente-cinq ans, c’est remarquable… inouï… c’est en tout cas ce qui est arrivé.
Que cette directive soit suivie, et le prix de la Fondation Fénéon deviendra sous peu le Goncourt de la peinture.
Il ne reste qu’à souhaiter qu’il ait le même effet salutaire, que ces expositions ne soient pas exclusivement faites dans un but d’information ; et je ne trouve pas déplaisant qu’une peinture soit considérée comme un Shell ou un Panama, dont il nous resterait, en tout cas, le tableau.
Que dire de Gillet et de Laubiès ?
Que ce sont deux peintres très jeunes, que l’un est à la recherche d’une force dans son inquiétude, l’autre ayant déjà trouvé une expression de son raffinement et de ses dons de coloriste, qu’ils ne semblent pas être des faiseurs. L’important c’est qu’ils entrent dans la peinture avec les chances de leur côté, préférant partir à la recherche d’une toute petite vision neuve que de patauger dans une péroraison sur ce qui a été déjà dit cent fois.
Ce qu’ils deviendront, dépend de l’homme. Sauront-ils résister aux soudoiements lorsque leur affaire sera devenue rentable ?
Texte écrit pour le prix Fénéon en 1954 –
Réédité en 1995 dans « Ecrits publics » Jean Fautrier. Préface de Castor Siebel. L’échoppe.