Dès le début des années 1950, Roger-Edgar Gillet se voue à l’art abstrait. Après des études à l’Ecole Boulle, puis aux Arts décoratifs, il se lance en exposant dans des manifestations montées par le grand critique Michel Tapié. Nombre d’autres suivront. Le peintre crée des œuvres aux techniques singulières, où se mêlent divers médias. Sur les cimaises, il expose avec Mathieu, Soulages, Hartung, Bryen, Estève, Poliakoff et quelques autres. La critique le soutient.
Bientôt, en 1954, il reçoit le prestigieux Prix Fénéon. Aragon, Fautrier et Jean Paulhan sont dans le Jury. L’année suivante il reçoit le Prix Catherwood, aussi prestigieux, mais américain, ce qui lui permet d’aller séjourner à New York.
En 1956, Gillet commence à exposer chez Jean Pollack, galerie Ariel. Ainsi naît une collaboration et une amitié qui dureront indéfectiblement jusqu’à la mort de l’artiste.
La même année, Michel Seuphor publie le premier Dictionnaire de la peinture abstraite. Il y écrit, à propos de Gillet : « Une peinture lyrique sachant se maintenir dans une gamme chromatique limitée. Projection tourbillonnaire avec des effets puissants des rouges, des noirs, des blancs dans l’ensemble des ocres ». Le critique définit là précisément, à son insu, ce que sera et restera la palette de Gillet. En effet, si dès le début des années 1960, la figuration apparaît dans son œuvre, sa palette conserve les mêmes tonalités, alors que les formes nouvellement créées suggèrent au spectateur des insectes ou bien des personnages en gestation. Bientôt, la présence de personnages s’affirme puis s’impose.
Dès lors, le fantastique occupe une place de choix. On perçoit aussi dans ses oeuvres une certaine causticité. Gillet pourfend, parfois agresse. Mais, sont-ce là des fêtes tragiques, ou bien une dénonciation de la société, mi comique mi grinçante ? Les deux sans doute. Gillet, ami de Pierre Alechinsky, laisse entrevoir, un temps, une forme de communion avec le groupe Cobra, mais aussi quelques affinités avec le flamand Ensor et la peinture imaginaire. Avec le temps, il est impossible d’apparenter Gillet, ici ou là. Il reste seul, indépendant et sans doute fier de l’être.
Toute sa peinture, toujours très en matière, s’accorde finalement du maléfique, de la peur qui étreint ses personnages. Visionnaire, il nous montre tout un monde fantasmagorique et grinçant. La finesse de sa technique picturale et l’extrême sensibilité de ses couleurs nimbe d’angoissantes compositions tout à la fois endiablées et tragiques.
Patrick-Gilles Persin