Roger‑Edgar Gillet
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texte de Jean Grenier Galerie de France 1959

Textes extraits de lʼarticle Gillet trait pour trait, publié dans la revue XXe siècle n°12, mai‑juin 1959: Bryen – Corneille - Jean Grenier.


GILLET BAVARD


Eclabet notri burubuc
Lolic lolirec lantaluze
Ambélibet fomefanfluc
Lourli lourci birebaluze


Glointer liliec zilactue
Enrex naxet exemflour
ocicrite vegrilactue
Lexilatere exilivlour


Bryen



Les terres fraichement ouvertes attendaient le geste de lʼhomme. Elles sʼallongeaient en de multiples carrés ou rectangles jusquʼà la bande très claire du ciel, formant cette ligne impitoyablement rectiligne, qui nous est si connue – barre familière allant dʼun œil à lʼautre et que nous appelons lʼhorizon.

Alors que tout semblait réglé, la tranquillité sʼétait installée pour de bon, un disque rouge parut dans la grande tache claire du ciel, (il jaillit, je crois, dans un bruit de tissu quʼon déchire), mettant une teinte de feu partout.

Les terres flambaient et se consumaient lentement, le ciel brûlait comme un immense bûcher.

(Je vis des lacs de plomb qui se ridaient, se mouvaient avec lʼair des vieux crocodiles en marche.)

Les terres ouvertes avaient maintenant cette saveur retrouvée – cette saveur ancienne des terres vierges.

Lʼhorizon basculait dangereusement pris de vertige, et une roue tourna, tourna…

Les hommes avaient des visages découpés dans du papier rose. Pourtant quand la roue eut fini dʼexister, tout rentra dans lʼordre. La nuit bleue balaya lʼincendie (une nuit bleue qui se souvenait du rouge et de tout lʼorange déversé).

Les terres ouvertes attendaient lʼhomme.


Corneille.


Lʼagrément des arts et de chacun qui sʼy livre nous propose – et sʼil y a du talent, nous impose, une vision déterminée qui lui est personnelle et qui exclut tous les autres, de sorte que lʼon comprend certains amateurs : une fois découverte chez un artiste la vision qui se rapproche de la leur ils sʼen tiennent à celui-ci. On les comprend, on ne peut pas toujours les imiter : parler de peintures, cʼest juxtaposer des univers incompatibles et passer dʼun langage à un autre sans possibilité de les traduire. Le plus triste est que dans un demi-siècle on aura de la peine à les distinguer.

Mais nous nʼen sommes pas là.

Le monde de Gillet est opaque il nʼest pas oppressant. Lʼœil goûte même un repos à contempler ces surfaces qui, chose exceptionnelle, à notre époque, ont une direction et une convergence. Gillet ne cherche pas à brouiller les pistes, il nʼest pas hanté par lʼidée quʼà voir ses toiles on pourrait y reconnaître quelque chose. De fait il est impossible de rien faire qui ne ressemble à rien. Si on voulait à toute force trouver des analogies il conviendrait de remonter dans le passé, jusquʼau XVII° siècle, et lʼon trouverait la gamme des ocres et des bruns de Mignard et de Lebrun ; quant à lʼorganisation même elle sʼapparente à celle des vignettes culs-de-lampe, frontispices et colophon qui ornent les livres de cette époques et qui sont surtout des faisceaux à la romaine, des lampes de drapeaux, des blasons et des armoiries parfois ; la décoration est principalement militaire alors, tandis quʼau siècle suivant elle est galante.

La noblesse et la majesté dominent ; Gillet a appris à lʼécole Boulle la gravure et lʼart de la médaille. Une fois de plus on constate combien une technique peut servir à lʼart qui, en apparence lui est étranger, à lʼinsu de celui qui la possède.

A cette sorte de motif sʼajoute chez Gillet celui que peut inspirer lʼinsecte, inspiration moderne cette fois. On peut distinguer si lʼon veut dans ses compositions, des coléoptères ou des crabes avec leurs armures et leurs pinces. Les deux catégories se ressemblent par leur caractère offensif, caractère atténué, par la sérénité des tons qui sont assourdis et qui donnent une impression de soulagement à celui qui sans oser le confesser, est fatigué par les stridences des contemporains. Du bruit des armes, il ne reste plus dans la peinture classique que la résonnance triomphale, celle que les vainqueurs goûtent enfin dans la paix. Gillet peut maintenant se permettre des tons plus clairs qui dʼun blanc laiteux, dʼun bleu pâle, ajoutent à la joie de cet adieux aux armes.


Jean Grenier