Dans les années 50, Roger‑Edgar Gillet se situe dans le mouvement de « l’Abstraction Lyrique » et de cet Art que le critique Michel Tapié avait dit « Autre » en 1952. Pourtant en 1958, à la grande surprise de son ami et marchand Jean Pollak, Gillet peint un premier portrait. Découvrant ce tableau qui va vers une certaine figuration, Jean Pollak y voit un personnage à la bouche grande ouverte qui exprime, lui aussi, l’étonnement. D’où un sentiment de stupéfaction que Gillet renforce spontanément en intitulant ce tableau « Saint Thomas ». Entre 1960 et 1962, alors que sa peinture est toujours dans l’abstraction, Gillet poursuit cette recherche avec une série d’encres intitulées « Apôtres », mais c’est en 1963 que son travail bascule vers la recherche de la figure avec son interprétation de la « Cène » et de ses 12 portraits d’apôtres.
Puis, pendant 30 ans, malgré l’importance de ce tableau dans l’évolution de sa peinture, Gillet toujours à la recherche du regard, semble oublier les «Apôtres » alors même que les thèmes religieux sont souvent présents dans son œuvre avec par exemple « Les Anges », «Les crucifixions » ou « Les Bigotes ». Néanmoins, il ne faut pas s’y tromper, Gillet se définissait comme athée. C’est toute l’humanité qui l’intéresse et pour lui les références religieuses font partie de son univers pictural au même titre que les paysages ou les personnages. Il peindra donc aussi «Marilyn», «Le Prétoire», «La Fête chez Pollak» ou «Les Épousailles des Nains ». Il fera même des incursions vers « Les Villes » ou « Les Tempêtes ».
Après ces années où il a « tyrannisé le portrait » avec tendresse, causticité et humour, il revient entre 95 et 97 sur une série d’ « Apôtres » (qu’il a aussi parfois appelé Philosophes), comme si à travers ces titres il cherchait une certaine neutralité qui ne perturberait pas notre regard. A ce moment là, il ne veut être ni dans la dérision ni dans un registre religieux ou politique. Ce qu’il aime c’est peindre et peut être revenir aux origines de ses portraits des années 60 et des mots puisque « apostolus » vient d’un mot grec signifiant envoi. Il nous faut alors regarder ces « Autres Apôtres » des années 90 comme un simple geste de plaisir de peintre et peut-être un dernier envoi.
Marion Gillet Guigon. Septembre 2009.